Que serait devenu le Gâtinais si César n’avait pas envahi la Gaule ?
En 58 avant JC, César reçoit du Sénat romain la mission de conquérir la Gaule chevelue (i.e. non romaine). Peu après ses cohortes ne tardent pas à progresser au sein de la forêt primaire qui va de Lutèce au pont de Génabum (Orléans) en passant par Sens, Montargis et Fontainebleau[1]. Au milieu des grands chênes, hêtres, trembles et aulnes multi-centenaires elles croisent sous l’épais couvert végétal une faune abondante : cerfs, , ours, sangliers, loups, lynx et, en plaine bisons et rennes. Les porcs y vivent en toute liberté se régalant, la saison venue, des glands, faines et châtaignes qui abondent. Quel menu ! Mais il y a aussi des tribus gauloises, Carnutes, Parisii, Meldes qui habitent la forêt et voient d’un œil mauvais les centurions et les légionnaires dévaster le pays. Aussi profitent-elles de l'environnement touffu pour se dissimuler et fondre le moment venu sur l’envahisseur.
Au fur et à mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt les légionnaires et cavaliers romains craignent de plus en plus les chevelus qui tombent des hautes branches ou surgissent des fourrés pour leur fracasser le crâne. D’où l’idée de faire place nette en abattant les grands chênes et le reste. J’imagine que César qui avait dans son armée des sapeurs de génie – ils s’illustrèrent lors du siège d’Alésia – a ordonné à ses soldats de construire des routes sûres et praticables. “Milites, ædificare itinera tuta”[2] aurait-il lancé après avoir pris une raclée sur le pont de Dordives. Alors les légionnaires abattent les chênes et les noyers qui sont sur leur passage, brûlent les bouleaux, les trembles, font des feux de joie des huttes gauloises et au passage se fument une Gauloise blonde. C’est ainsi que naît, de Sens à Orléans, la voie de César. La forêt primaire amputée, fragmentée, évolue et prend d’autres formes, certaines espèces végétales se raréfient – ainsi le chêne pubescent dans la vallée du Loing – la faune change, des animaux disparaissent. “L’écosystème a été violé”, dirait un écolo moderne.
Les siècles passent, mais César a tracé la voie : la déforestation continue son petit bonhomme de chemin. On déboise pour construire, pour se chauffer, cuire les aliments, fabriquer des outils et des armes, dresser des remparts contre les envahisseurs. Quand vers le douzième siècle, surgissent les moines, alors là c’est l’hécatombe! Depuis longtemps ils dominent la vie quotidienne, imposent leurs lois et leurs modes de vie. Pris de frénésie, ils remontent la robe de bure, relèvent la capuche pointue et s’égayent dans la nature pour abattre tout ce qui dépasse. C’est l’époque des moines défricheurs qui, tels les Croisés, s’acharnent sur les derniers “bois carrés”, les dernières haies, les derniers noyers. Qu’est-ce qui les motivent ? L’abondance des récoltes certes mais bien d’autres choses encore qui assoient leur richesse et leur pouvoir. La plupart du temps ils trouvent moins fatigant de faire appel à la main d’œuvre locale bon marché qui abonde. Ils font suer le serf pour des avantages négligeables, une petite réduction de la dîme qui ne sera perçue qu’à partir de la onzième gerbe !
Ce faisant l’agriculture sort des limbes, d’immenses champs plats comme la main, sans un poil, brûlés par l’essartage (ou brûlis) voient le jour. On y plante des céréales. Au XVIII ème siècle il ne reste plus sur le territoire de la commune de Château-Landon que 190 arpents de forêt sur les 5700 qui existaient du temps des Gaulois. La France devient un des plus grands producteurs céréaliers du monde. François 1er et les monarques qui lui succèdent tentent de préserver les derniers “bois carrés.” En vain. Les moines défricheurs du douzième siècle ont emboîté le pas au grand Jules.
PAR TOUTATIS !
Jacques Bullot
[1] "Chateau Landon en Gâtinais", J.P.Gauquelin, Section histoire et archéologie du foyer rural de Château-Landon, 1995
[2] "Soldats, construisez des routes sûres." (traducteur internet)
Gazette no 2 - Automne 2019
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